La situation de quasi arrêt  de toute activité non strictement indispensable, décidée par les autorités, occasionne des pertes considérables pour de très nombreuses entreprises. Certaines polices d’assurance couvrent la perte d’exploitation résultant d’une décision de fermeture administrative. Le tribunal de commerce de Paris a condamné en référé un assureur à indemniser un restaurateur. Mais le débat juridique n’est pas clos, car l’assureur fait appel. Dans tous les cas où la police d’assurance ne couvrirait pas le risque, on peut s’interroger sur la mise en jeu de la responsabilité civile professionnelle du courtier. En effet, celui-ci est tenu d’un devoir de conseil au bénéfice de son client l’assuré et aurait peut-être dû lui proposer la couverture du risque. Par Jean-Christophe Bouchard, Avocat à la Cour, NMW.

La crise sanitaire liée au covid19 a donné lieu en France à une réponse publique particulièrement forte à travers le confinement général du pays, ainsi que des décisions visant à réduire fortement les contacts sociaux pour freiner la propagation du virus. Le Décret n°2020-293 du 23 mars 2020 prévoit ainsi en son chapitre 4 à l’article 8 que de nombreuses activités économiques ont interdiction de recevoir le public.

Il en est ainsi des salles d’audition, de conférences, de réunions, de spectacles, des centres commerciaux, des restaurants et débits de boissons, des salles de danse et salles de jeu, des bibliothèques et centres de documentation, des salles d’exposition, des établissements sportifs, des musées, des marchés couverts ou non. Ceci sous réserve des exceptions figurant en annexe du décret, autorisées à rester ouvertes.

Cette situation  inédite a entrainé des pertes d’exploitation considérables, de nature à ruiner des pans entiers de l’économie. En effet, de nombreuses entreprises ne seront malheureusement pas en mesure de rouvrir, ne pouvant faire face aux conséquences désastreuses d’une fermeture prolongée, si elles ne reçoivent pas une aide financière. A cet égard, le prêt garanti par l’Etat assure une solution de liquidité, efficace à court terme, mais le principe du prêt est qu’il doit être remboursé, de sorte que demeure la question de la solvabilité.

Les assureurs doivent-ils garantir au titre de la couverture perte d’exploitation ?

Il est donc permis de se demander si les assureurs ne devront pas être appelés à contribuer aux dommages économiques au titre des garanties de perte d’exploitation des entreprises sinistrées.

C’est ce qu’a fait le tribunal de commerce de Paris dans une affaire jugée en référé le 22 mai 2020 (n°2020017022) concernant un restaurateur.

Le tribunal de commerce de Paris a condamné l’assureur à payer une provision de 45.000 euros et a désigné un expert judiciaire ayant pour mission d’évaluer le montant des dommages constitués par la perte de marge brute occasionnée.

L’assureur a déclaré faire appel de cette décision, dans la mesure où il existe des contestations sérieuses s’agissant de l’obligation de garantie et qu’il n’est pas de la compétence du juge des référés d’interpréter le contrat d’assurance.

Quels sont les arguments juridiques ?

Examinons les arguments en cause.

En premier lieu, l’assureur avance que le risque relatif aux pertes d’exploitation consécutives à une pandémie est inassurable par un mécanisme d’assurance privée. Cet argument nous semble très fragile, car il n’existe aucune disposition d’ordre public qui excluerait la pandémie des risques assurables. Il faudrait que le cas soit exclu de la police, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. De surcroît le sinistre ne découle pas de la pandémie elle-même, comme le cas par exemple la majorité de ses salariés serait atteinte par la maladie, mais de la décision des autorités publiques d’interdire l’accès au public. Le fait que la décision des autorités publiques soit motivée elle-même par le souhait de lutter contre la pandémie n’est en lui-même pas le facteur causal direct de la décision des autorités.

En second lieu, l’assureur avance l’argument selon lequel la perte d’exploitation ne saurait couvrir que les dommages consécutifs à un événement matériel tel que l’incendie, le bris de machine, l’accident électrique, le dégât des eaux, etc. Cependant, force est de constater là encore que la police de l’espèce prévoie une garantie des pertes d’exploitation sans dommage matériel, de sorte que cet argument, qui a pu être valable autrefois lors de la mise en place des premières polices couvrant la perte d’exploitation, ne l’est plus pour les polices actuellement en vigueur.

En troisième lieu, l’assureur soutient que la fermeture administrative visée dans le contrat serait celle prise par le préfet du lieu où est situé l’établissement et non par un ministre. Là encore, en droit français il s’agit bien dans les deux cas de décision administrative, de sorte que cet argument nous parait très fragile.

En quatrième lieu, l’assureur soutient que la police du restaurant prévoit une garantie au titre de la fermeture administrative, mais que le Décret n°2020-293 du 23 mars 2020 se limite à interdire l’accès au public, autorisant par exemple la vente à l’emporter ou la livraison. L’assureur estime en conséquence qu’il n’appartient pas au juge du fond mais au juge des référés d’interpréter le contrat pour déterminer si la couverture s’applique, en qualifiant l’interdiction de recevoir du public de fermeture au moins partielle de l’établissement, étant précisé qu’il y a sans doute de nombreux établissements peu susceptibles de pratiquer la livraison ou la vente à emporter.

On rappellera que les cas d’exclusion sont nécessairement interprétés de façon limitative et contre l’assureur en cas de doute, selon une jurisprudence constante.

Quelles perspectives ? Après les assureurs, les courtiers ?

Cette affaire illustre le fait que s’il existe des polices qui couvrent objectivement la perte d’exploitation, il y a aussi de nombreux cas pour lesquels le sinistre actuellement supporté par les entreprises est mal exclu, ce qui nécessite que les polices soient interprétées par le juge.

Un dernier point mérite alors d’être soulevé : la circonstance qu’il existe des polices qui couvrent le risque conduit nécessairement à s’interroger sur la responsabilité des courtiers qui n’ont pas proposé à leurs clients des contrats permettant de s’en prémunir. Autrement dit, en parallèle des actions contre les assureurs au titre de la perte d’exploitation se pose la question pour les entreprises d’engager aussi des actions contre les courtiers en vue de mettre en jeu leur responsabilité civile professionnelle pour défaut de devoir de conseil.

NMW

Jean-Chirstophe Bouchard

 

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